Brève d’Exil : Un an d’acharnement pour une AME

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

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Au Centre de santé du Comede à l’hôpital de Bicêtre

Monsieur M. est arrivé au Comede en février 2020 alors que sa demande d’asile venait d’être rejetée. Il a été très vite pris en charge au Centre de santé par une médecin, une psychologue, une assistante sociale et les ostéopathes bénévoles.

Bien que débouté de sa demande d’asile, Monsieur M. devait pouvoir bénéficier du droit à la complémentaire santé solidaire (CSS) jusqu’au début de l’été 2020, comme le prévoit l’article R111-4 du Code de la Sécurité Sociale. Cependant, il ne pouvait plus bénéficier de sa domiciliation auprès des organismes agréés par l’Etat qui délivrent des adresses administratives aux demandeurs d’asile. Sans adresse administrative, Monsieur M. ne pouvait pas engager de démarches en France auprès des administrations et notamment auprès de l’Assurance Maladie.

En juillet 2020, nous avons alors entamé une demande de domiciliation auprès de la ville de Bobigny où Monsieur M. était hébergé par un ami. Ce n’est que le 30 novembre 2020, après de nombreux appels et relances du Comede, que le CCAS a délivré une attestation de domiciliation à Monsieur M.

Ravies, nous nous sommes empressées de faire une demande d’Aide médicale d’Etat car cela faisait plus de 6 mois que Monsieur M. n’avait plus de droits à la sécurité sociale. Nous avons envoyé le dossier à la CPAM du 93 le 11 janvier 2021. Après deux mois sans réponse, nous avons renvoyé le dossier à trois reprises et appelé plusieurs fois la caisse du 93. Systématiquement on nous répondait que le dossier au nom de Monsieur M. était introuvable. Monsieur M. a alors décidé de déposer son dossier physiquement. Nous avons pris rendez-vous à la CPAM de Bobigny avec lui par téléphone.

Le jour du rendez-vous, il n’a pas été autorisé à entrer car, d’après la sécurité, il n’était pas sur la liste des rendez-vous et n’avait pas de SMS de confirmation de son rendez-vous. Découragé, Monsieur M. est revenu au Comede nous annoncer que le dossier n’avait pas pu être déposé. Nous avons appelé à nouveau l’assurance maladie qui a nous confirmé « que Monsieur M. avait bien rendez-vous à ce jour mais n’ayant pas de compte Améli, car pas d’attribution d’un numéro de sécurité sociale définitif, il ne peut pas recevoir de SMS de confirmation ».

Ce refus a fait perdre à Monsieur M. trois semaines supplémentaires pour le dépôt. Cela faisait alors plus d’un an qu’il luttait pour ses droits à l’assurance maladie malgré un accompagnement régulier de divers intervenants. Nous avons donc repris un rendez-vous pour un dépôt physique et avons insisté pour que la sécurité de l’agence soit informée que Monsieur M. a bien rendez-vous. Finalement, les droits à l’AME de Monsieur seront ouverts en août 2021.

Mais l’histoire de Monsieur M. ne s’arrête pas là. Lorsqu’il s’est rendu en agence pour récupérer sa carte, ils lui ont indiqué que le retrait se faisait sur rendez-vous (chose qui n’avait pas été mentionnée dans le courrier) et ils lui ont donné un lien internet pour prendre rendez-vous. Néanmoins, Monsieur M. rencontre des difficultés d’accès à internet, c’est pour cette raison qu’il est venu chercher de l’aide au Comede. Nous avons pu prendre rendez-vous en agence la semaine suivante.

Non seulement Monsieur M. n’a pu être suivi que par une association loin de son domicile et loin de pouvoir combler certains soins spécialisés et actes de prévention, mais il n’a pas non plus eu le droit de faire une demande de solidarité transport (réduction de 50% des transport franciliens) tant qu’il n’était pas en possession de sa carte.

Finalement, après plus d’un an d’acharnement pour avoir simplement accès à ses droits, Monsieur M peut «s’estimer chanceux» d’être l’heureux titulaire d’une carte AME. Nous nous inquiétons sérieusement pour les personnes qui ne sont pas accompagnées ou très isolées dans leurs démarches.

Témoignage rapporté par deux accueillantes sociales au Centre de santé du Comede.