Brève d’Exil : Prouver l’intime
Septembre 2025
Pendant l’année 2024/2025, un groupe de parole hebdomadaire, pensé pour des personnes exilées LGBTQIA+ a été animé par deux psychologues du Comede. Celui-ci s’inscrivait dans la continuité d’un projet qui a émergé en 2020 et dont l’un des objectifs principaux était de créer un espace d’écoute et de soins pour un public particulièrement vulnérable, car cumulant des facteurs d’exclusion.
Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.
Les personnes exilées LGBTQIA+ que nous accueillons ont été contraintes de fuir leur pays dans lesquels des actes de discriminations, d’oppression et de violences lgbtqia+phobes sont perpétrés. « La France est un pays de droit, de liberté ». Cette phrase, souvent répétée en séances au cours des mois, explique pourquoi ces personnes ont fait le chemin jusqu’ici. Là où personne ne leur demande qui elles sont, qui elles aiment, comment elles choisissent de mener leur vie. Elles disent se sentir en sécurité, ou presque. En effet, certaines personnes sont confrontées à une réactualisation des violences subies dans leur pays d’origine, qui peuvent être reproduites par des membres de la communauté, ici en France. Un pays qui n’est pas non plus totalement épargné d’actes homophobes ou racistes.
Les participant·es du groupe sont actuellement en demande d’asile. Certain·es ont passé leur entretien à l’Ofpra, d’autres non. D’autres encore sont en procédure de recours auprès de la CNDA. Malgré la diversité des situations administratives, tous et toutes ont engagé une demande d’asile, et celle-ci constitue une source d’angoisses et de questionnements importants.
Les questions administratives prennent beaucoup de place dans l’espace de parole, le groupe est l’occasion d’échanger à ce sujet. Une des difficultés a été de ramener le groupe à des expériences de vie subjectives et de ne pas tomber dans un atelier « comment bien faire sa demande d’asile ? ». Cependant, il est primordial de ne pas faire fi de cette demande d’asile car elle fait partie intégrante de leur réalité. Nous, psychologues et animatrices du groupe, nous ne pouvons l’ignorer ainsi que les conséquences, explicites et implicites, qui en découlent.
En effet, la demande d’asile expose ces personnes à devoir parler de leur identité sexuelle et de genre. Ils et elles doivent « se mettre à nu », alors que l’expression de cette identité ne pouvait absolument pas exister auparavant dans leur pays d’origine, ou prendre une quelconque place en raison des risques de violences de la part de la famille, plus largement de la part de la communauté. Comment « se mettre à nu » alors que l’on s’est si longtemps caché·e pour survivre ? Comment montrer ce que l’on a justement caché toute sa vie ?
Cette demande administrative implique une exposition des aspects les plus intimes de sa vie, face à des inconnu·es. Cette recherche de preuves de l’orientation sexuelle à laquelle il est difficile de donner du sens vient s’actualiser dans le groupe de parole. En effet, on nous demande à plusieurs reprises lors des séances de rédiger des certificats, des attestations pour qu’ils et elles soient mieux armé.es durant leur entretien ou leur audience.
Cette injonction à prouver l’intime devient la préoccupation principale du groupe, elle prend toute la place, bloquant l’expression des vécus subjectifs et laissant aux autres le savoir sur leur vie qu’iels n’incarnent plus totalement.
Nous nous sentons très mal à l’aise à l’idée de participer à cette logique de la preuve. Nous ressentons que cette demande nous décale de notre position clinique et thérapeutique et que cela nous demande une attention particulière afin de garantir un espace de parole basé sur le soin psychique des personnes. Le défi pour nous sur cette question était ardu et nous a demandé de prendre le temps de décortiquer les tenants et les aboutissants d’un tel certificat psychologique afin d’apporter aux participant.es un espace autre, libéré de toute injonction.
Finalement, les craintes ont été entendues, partagées, et pensées ensemble, laissant la place à d’autres thématiques d’émerger, comme l’identité, la culpabilité, les différentes formes de violence face au genre, les traditions, la religion, le vécu de rejet et d’exclusion…