Brève d’Exil : La faim justifie les moyens

Juin 2025

L’accès à l’alimentation est un sujet très préoccupant en Guyane. A l’école, dans les associations ou dans les administrations, le MANQUE est le mot qui revient le plus fréquemment. J’ai découvert la Guyane en Juillet 2021. J’avais en tête un imaginaire lié à l’insécurité et aux insectes : il se révélera rapidement n’être qu’un cliché. Les réelles problématiques de ce beau territoire ne sont pas du tout abordées au national.

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

Pendant deux ans j’ai été assistante de Service Social en milieu scolaire à l’Education Nationale. J’ai exercé au sein du second degré (collèges et lycées) dans plusieurs établissements du littoral et communes isolées de l’Ouest Guyanais. Lors de ces expériences professionnelles, j’ai été surprise par l’absence de cantines scolaires. En effet, sur le territoire Guyanais de nombreux établissements scolaires, tous degrés confondu, sont dépourvus de réfectoire. Ceux qui ont une cantine scolaire sont contraints d’accueillir des enfants scolarisé·es ailleurs, ce qui réduit largement les possibilités d’y accéder. De plus, dans un département où 53% de la population vit sous le seuil de la pauvreté (Insee), la possibilité de pouvoir financer la cantine, est pour certaines familles, impensable.

J’ai intégré le Comede en février 2024. J’accompagne des personnes en situation d’exil avec une santé physique/psychologique fragile. Le public est varié : hommes seuls, femmes seules, familles monoparentales, familles. Ici encore, la problématique de l’accès à l’alimentation est centrale.

En Guyane très peu de structures permettent d’offrir un accès à l’alimentaire gratuitement ou à cout réduit mais c’est le manque de denrées alimentaires le plus inquiétant. Les institutions délivrent seulement 3 à 7 colis alimentaires par an. Pour pallier à ça, certaines associations offrent un soutien alimentaire à la hauteur de leur possibilité : petits colis, tickets services, petites collations. Cela soulève tout de même beaucoup de questions.

Comment nourrir une famille avec aussi peu de colis ? Comment faire cuire ses aliments lorsqu’on vit en rue ? Quelles raisons justifient le manque de solutions permettant d’avoir accès à l’alimentaire ? Pourquoi cette problématique n’est-elle pas plus abordée ? La Guyane est un territoire français, au même titre que la Seine Saint Denis, les Bouches du Rhône ou la Creuse, mais dont les problématiques sont trop souvent ignorées.

Nous accompagnons aujourd’hui des femmes qui n’arrivent pas à fournir un repas par jour, au moins, à leurs enfants. Certaines sont contraintes d’accepter des échanges économico-sexuels pour se nourrir. Ce manque amène certain·es patient·es à arrêter leur traitement : « Le médecin m’a dit que je devais manger avec le médicament mais je n’ai rien à manger Madame », « Si je prends le médicament sans manger j’ai trop mal au ventre ».

« La faim justifie les moyens », mais on a rarement les moyens quand on a faim. La santé mentale a été décrétée « grande cause nationale » en 2025. Comment se préserver ou guérir lorsqu’on ne mange pas à sa faim ou qu’on n’arrive pas à donner un repas par jour à ses enfants ?