Brève d’Exil : Longue est l’attente

Mai 2025

Au centre de santé du Comede nous accompagnons une centaine de « migrant·e·s âgée·e·s ». Les projets d’avenir, la temporalité, l’aisance avec le numérique, le lien avec la famille sont parfois différents d’un public plus jeune. Les perspectives de régularisation aussi sont différentes.

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

Bientôt 10 ans. 10 ans qu’il garde comme un trésor le « livret santé bilingue » que le Comede lui a remis la première fois qu’il s’est présenté au centre de santé.

C’est sa première « preuve de présence » en France.

« Mais moi je suis arrivé 14 mois avant, 14 mois sans preuve et j’ai perdu mon billet de train. C’est un africain qui m’a dit de venir au Comede pour commencer à mettre des preuves de côté »

Il n’a jamais fait de demande d’asile, ce n’était pas son projet. Il a déjà eu une carte de séjour pour soin puis un refus de renouvellement et une obligation à quitter le territoire français (OQTF) mais c’était « ouhhh y a lonnnngtemps« .

Depuis bientôt 10 ans il met scrupuleusement de côté ses cartes d’aide médicale de l’état (AME), n’oublie pas de déclarer ses impôts, garde ses ordonnances et ses tickets de paiement d’abonnement de transport.

Il s’est toujours signalé à son consulat en France, renouvelle son passeport dès que cela est nécessaire pour toujours avoir « un passeport en cours de validité »

Alors cette année il est prêt ! Le 31 juillet 2025 cela fera pile 10 ans que le Comede lui a remis le livret de santé bilingue avec une étiquette à son nom et un coup tampon pour la date.

Ils s’appellent Mamadou, Jean ou Dieudonné.
Elles s’appellent Mariam, Albertine ou Fatoumata

Ils et elles ont laissé derrière eux des enfants parfois des petits enfants, toute une vie, leur maison, leurs habitudes, leur métier souvent pour venir trouver un refuge ici. Ici, en France, ce pays qui faisait partie de leur enfance au Mali, au Burkina Faso, au Congo ou en Guinée, avant les déclarations d’indépendance.

Déception en arrivant, déception au fur et à mesure des années. La demande d’asile n’a pas été acceptée, la régularisation par le travail ? Ce n’est plus de leur âge. Le titre de séjour parce que les enfants vont à l’école depuis plusieurs années ? Les enfants ne sont souvent pas là et n’ont de toute façon plus l’âge d’aller à l’école. Alors ils et elles attendent, comptent les années en « avis de non-imposition », « renouvellement de la carte AME », « abonnement de transport », « attestation des restos du cœur » pour arriver à 10 et pouvoir enfin déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour (AES). Enfin… plutôt une demande de « ça y est ! ça fait 10 ans que je suis là, j’ai gardé toutes les preuves » parce qu’« AES », « démarches simplifiées », « ANEF », « e-photo » ça ne parle pas vraiment.

Commence alors un travail de tri, de classement. Nous passons des heures à scanner, à envoyer, à imprimer. Ensuite l’attente reprend, parfois un an avant d’avoir un rendez-vous. C’est long, très long. Enfin le rendez-vous à la préfecture ! Maintenant cela fait 11 ans que les preuves de présences s’accumulent. Tout est prêt pour le jour du rendez-vous, la demande est enfin enregistrée, un récépissé de « première demande » est remis. L’attente reprend, le récépissé n’est pas renouvelé, impossible de prendre un rendez-vous sur le site de la préfecture pour le renouvellement alors que c’est ce que prévoit la procédure. Douze ans de preuves de présence… et l’attente continue, la déception s’installe, de nouveau.