A la rue, « pour son bien »

Enceinte de sept mois à la suite d’un viol, Madame V, ivorienne, a tenté pendant trois mois d’accéder à l’accueil de jour de son centre d’hébergement d’urgence.

Bicêtre, janvier 2018 - Elle tripote le kleenex que je viens de lui donner, les yeux débordant de larmes. Elle est fatiguée. Elle ne fait que de répéter ça depuis vingt-cinq minutes : « Je suis fatiguée. Je voudrais dormir. Je ne dors plus. » Madame V parle de sa fille restée au pays. Elle a l’impression de l’avoir abandonnée. Elle a peur de l’excision, peur des hommes. Elle montre une photo, et pleure en disant que sa fille ne pourra plus la reconnaître. Son ventre est énorme. Elle est enceinte de sept mois, et tous les matins, elle est réveillée par les lumières du centre d’hébergement d’urgence. Tous les matins à 8h30, elle doit quitter les lieux, et traîner son corps épuisé et asthmatique ailleurs jusqu’à 17h.

Alors, elle explique qu’elle n’a pas d’amies au CHU, qu’elle va au centre commercial, qu’elle traîne dans les halls, fait un peu la manche, dort sur un banc. Elle voudrait que tout s’arrête. Elle sanglote qu’elle n’y arrive plus, que la grossesse au pays était différente mais qu’elle ne veut pas de ce bébé-là, qu’elle ne veut pas d’un bébé dont le géniteur est un violeur. Déjà trois mois qu’elle essaie d’accéder à l’accueil de jour situé au rez-de-chaussée de son CHU, trois mois qu’elle supplie qu’on la laisse rester à l’intérieur. Au téléphone, la responsable m’assure que Madame V est passée « entre les mailles du filet », que bien sûr elle va l’inscrire dès le lundi suivant pour l’accueil de jour, mais que c’est « pour son bien » qu’on la met dehors, parce qu’il faut qu’elle « s’aère l’esprit ».

Je regarde la femme en pleurs en face de moi. Je me demande comment aurait réagi la responsable de cet accueil de jour si à sept mois de grossesse, elle avait été forcée d’errer dans un centre commercial tous les jours, sans chambre ou soutien. Madame V est dans ce dispositif de « mise à l’abri » depuis trois mois, depuis son arrivée en France. Elle n’arrive pas à se lever le matin mais la préfecture voudrait la renvoyer en Espagne, pays qu’elle ne connaît pas et dont elle ne comprend pas la langue, alors qu’elle va accoucher dans un mois et demi. Lorsqu’on alerte le 115, elle finit par être placée à l’hôtel, « pour des raisons de santé », toute seule, puis est prise en charge dans un hôpital mère-enfant pendant quelques semaines. A bout de forces, elle enjambe la rambarde de la fenêtre de sa chambre, s’arrête à temps, mais sera envoyée en hôpital psychiatrique. Elle a finalement accouché à l’hôpital, sans solution pour la suite.