Brève d’Exil : « C’est maintenant le pain au chocolat ? »

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

Octobre 2023

 

En tant que médiatrice santé, j’interviens et j’accompagne des personnes qui sont éloignées du système de soin, notamment lors des difficultés et des blocages. La plupart des situations rencontrées au Comede sont complexes, touchantes et témoignent des parcours et des batailles de vie des personnes. Alors pour une fois, j’ai eu envie de raconter une histoire presque du quotidien, qui me rappelle aussi le privilège que les personnes m’accordent en m’invitant chez elles.

C’est un réveil très tôt ce jeudi matin. Je monte dans ma voiture à 7h et je conduis une demi-heure avant de me garer à proximité d’un bidonville où notre équipe de médiation santé intervient depuis presque un an.
Ce matin j’accompagne pour leur bilan de santé une maman avec ses deux enfants et leur tante. N’ayant pas de protection maladie pour le moment (nous ne pouvons même pas faire les démarches, l’accès à la domiciliation étant trop complexe entre le manque de places et les refus), leurs médecins au Comede ont proposé de faire les examens dans notre laboratoire partenaire au centre Edison. Mais de nombreuses difficultés retardent les prises de sang : le laboratoire est assez loin, la barrière de la langue, le trajet et la possibilité de se perdre, les blocages liés au fait de se rendre dans un lieu inconnu, les expulsions qui mettent en pause les suivis, la peur d’un bilan et d’une piqure… Je les accompagne donc pour alléger l’organisation.

Normalement, le Comede intervient dans les bidonvilles, dans le cadre des activités de médiation santé, l’après-midi. Les enfants jouent et les adultes sont occupés avec les tâches domestiques, les courses et le travail. Mais ce matin il est tellement tôt que tout le monde (ou presque) dort encore. Tout est silencieux. Je marche doucement, en essayant de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller les personnes (ou leur faire peur, ça pourrait être la police qui arrive pour les expulser). Je m’approche de la baraque de la famille et je vois que Madame pointe déjà le bout du nez par la porte. Elle termine de préparer les petits, pas encore vraiment réveillés. Une fois tout le monde réuni, nous nous assurons d’avoir toutes les ordonnances, papiers et échantillons pour le laboratoire et nous quittons le bidonville.

Nous devons prendre plusieurs transports en commun, c’est un peu l’aventure de sortir du métro et d’être dans Paris. Je connais les enfants depuis un petit moment, je sais qu’ils sont assez stressés par la prise de sang. J’avoue appréhender un peu aussi : je n’aimerais pas être associée à un geste qui est très souvent si inconfortable pour les enfants.
En s’approchant du centre, l’ambiance semble un peu tendue. Il me vient alors une idée : je leur propose, pour fêter la prise de sang et leur courage, d’aller ensemble après les examens à la boulangerie pour chercher des pains au chocolat. Le plus petit, de nature plutôt active, semble enthousiaste (qui ne serait pas tenté par un pain au chocolat ?). J’aide les adultes à s’inscrire à l’accueil, nous regardons où aller dans le bâtiment pour chercher la bonne salle.

La prise de sang et la radio se passent très bien. A chaque étape, de l’enregistrement jusqu’à la vitrine de la boulangerie, le garçon me demande « c’est maintenant le pain au chocolat ? ».

Enfin ! « Oui, c’est maintenant ! ». Nous sortons avec nos cinq pains au chocolat : quelle joie, quel bonheur et quel soulagement !
De retour sur leur lieu de vie, le plus petit montre tout fier son pansement aux autres enfants. On se dit au revoir, on se verra sûrement le jour du rendu des résultats avec le médecin au centre de santé du Comede. Le petit, qui est un garçon plutôt craintif, vient me voir avec un gros sourire. « Tu es content ? » je lui demande dans sa langue. « Oui, très ». Il propose même de le refaire une prochaine fois !