Brève d’Exil : Step by step…

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe pluridisciplinaire du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

Avril 2024

Deux titres pour cette famille sans papier, accéder au Graal : ouvrir la porte du futur pour cinq personnes, dont les trois enfants participant à la grande aventure de l’exclusion par la précarité. Nous ne récapitulerons pas ici les tortures et les incarcérations subies au pays d’origine. Pour imaginer cette famille, attardons-nous plutôt sur les treize années de galère en France, descente traditionnelle infernale de l’escalier du migrant : échec à l’asile, aux demandes de régularisation pour santé psychique. On oublie les OQTF et l’IRTF finale. On évitera bien sûr la description pénible et répétitive des traumatismes, des effets de l’exclusion, de la honte sociale et économique : récits pénibles souvent peu transmissibles. On ne prêchera pas non plus, comme pour défendre un droit exceptionnel, les qualités considérables des parents et de leurs trois enfants scolarisés qui se sont tenus à carreaux six années en Algeco d’hébergement d’urgence mobile, cachant aux camarades et leurs parents, leur vie de misère.

Le 5 mars 2024, une porte particulièrement coriace et grippée s’entrouvre soudain : celle de la préfecture en ce qui concerne l’obtention d’un titre de séjour. Pour la première fois, les parents obtiennent ces titres ! Ils s’inquiètent de les avoir le plus vite possible en main pour accéder aux droits afférents, travailler, sortir de précarité, assurer les chances de l’intégration juridique et pouvoir, dans un an, justifier d’une activité contributive au renouvellement du titre. Il faut faire vite, pour ne perdre aucune chance. Ainsi, le 5 mars, à réception du message miraculeux, ils essaient de prendre Rdv à la sous-préfecture d’Isère, lieu attendu pour récupérer les titres. Mais l’inscription est impossible, le site refuse leur numéro d’immatriculation. En revanche, et contre toute logique, le site accepte sans difficulté ce numéro pour un Rdv en Préfecture. Ce sera le 20 mars.

M. et sa femme, accompagnés d’un intervenant social, vont ainsi à Grenoble, à leur Rdv du 20 mars, munis des timbres fiscaux. On leur dit que les titres de séjour sont à la sous-préfecture, à 60 km. Où ils n’ont pas Rdv. Inquiets, ils se renseignent par téléphone on les rassure : ils peuvent récupérer les titres sans Rdv. Ils s’y rendent immédiatement avec leur accompagnant : « Oui, les titres de séjour sont là ! » leur dit-on. Mais, ajoute-t-on : « vous devez prendre un Rdv pour les récupérer ! » (pourtant, aucune file d’attente en vue). Ils expliquent l’impossible prise de Rdv en Ligne. Rien n’y fait : « Prenez rdv en ligne« . Ce qu’ils feront à de nombreuses reprises en vain durant plusieurs jours, avec plusieurs associations : c’est impossible, le site ne permet l’inscription qu’à Grenoble, aucune aide par téléphone n’est donnée. Finalement, après courriel de l’intervenant social et capture d’écran, après quelques jours, la préfecture annonce qu’on leur proposera un Rdv ! Super ! Mais rien de tangible, aucun délai annoncé.

Trop inquiets du temps qui passe, ils décident de retourner seuls à la sous-préfecture. L’accueil bloque, ils insistent, ré-expliquent la prise impossible du Rdv en ligne. On répond qu’ils se débrouillent mal de toute évidence. Ils ré-insistent, disent avoir essayé avec trois associations. Récit répété trois fois, aux trois cerbères qui se succèdent : négociation, échec et rebelote, puis la troisième, qui confirme d’abord la nouvelle règle à respecter (les accueils possibles sans Rdv jusque-là ne le sont plus depuis le 15 mars, pas de chance, ils étaient venus le 20). « Pour mieux répondre aux demandes des usagers » dit la note de la préfecture. Ils ne lâchent pas : numéro 3 demande alors s’ils ont les timbres fiscaux, les autres pièces. 30 minutes après, ils repartent avec les titres de séjour. Deux petites cartes, toutes neuves. Après 13 ans.

Précisons pour conclure que le titre était édité depuis décembre, le SMS annonçant l’émission du titre reçu le 5 mars. Mieux valait ne pas trop attendre. Ni trop obéir aux règles. Vive la dématérialisation pour une vie plus facile !