Brève d’exil : « On va attendre que l’interprète arrive pour votre plainte. »

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société d’aujourd’hui.

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Parmi les femmes que nous accompagnons, nombreuses sont celles qui, à un moment donné de leur parcours, parfois à plusieurs reprises, sont victimes d’agressions, de viols, d’attouchements, de menaces liés au seul fait qu’elles soient des femmes. Trop rarement elles osent porter plainte…

Bicêtre, été 2019

Les congés approchent, la plupart des structures sont fermées, les 115 sont saturés, les possibilités d’orientation s’amenuisent. Depuis plusieurs jours, nous tentons de trouver une place au 115 pour cette jeune femme, tout juste arrivée en France. Le Comede lui a déjà payé des nuits d’hôtel. La première fois, c’était parce que l’homme qui l’hébergeait devenait menaçant.

Tous les jours, elle vient au centre de santé et, inlassablement, elle appelle, elle patiente, comme le lui demande le message qui tourne en boucle: « vous êtes bien au 115, merci de patienter, nous allons prendre votre appel ». Ce jour-là, enfin, elle a une place pour deux nuits. Mais le lendemain, elle est de nouveau au Comede, apeurée.

Elle nous raconte sa nuit, l’agression qu’elle a subi de la part « du monsieur qui fait signer les papiers à l’arrivée ». Elle se demande pourquoi. Pourquoi, depuis qu’elle est arrivée en France, les hommes l’agressent. Pourquoi ici également ? Mais cette fois, c’est décidé, elle porte plainte si nous l’accompagnons.

Le commissariat du Kremlin-Bicêtre est le plus proche. Le Comede va l’accompagner. Avant de partir, nous alertons de nouveau l’OFII1. Elle est demandeuse d’asile : elle n’aurait pas dû se trouver dans cette situation. Nous expliquons qu’elle a été agressée et qu’elle va porter plainte. Deux heures après, l’OFII nous informe qu’une place en Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) lui est réservée. Elle est rassurée.

Au commissariat, l’agent d’accueil s’est soucié dès le départ de la question de l’interprétariat et a vite compris qu’il faudrait effectivement l’aide d’un professionnel. Un interprète a été appelé. L’officier de police, un homme, a ensuite demandé à Madame si elle préférait être entendue par une femme et a autorisé à ce que nous l’accompagnions. La déposition a été longue et fastidieuse, mais la plainte pour agression a été enregistrée. Elle a accepté un rendez-vous en unité médico-judiciaire (UMJ), non pas pour les « traces physiques », il n’y en avait pas, mais pour « l’impact psychologique », comme cela lui a été expliqué.

L’agression n’ayant pas eu lieu au Kremlin-Bicêtre, la plainte est transmise au commissariat du secteur sur lequel se trouve le foyer. Madame est convoquée la semaine suivante dans cet autre commissariat. De nouveau, le Comede l’accompagne. Cette fois l’interprète est là dès son arrivée, comme lors de son rendez-vous à l’UMJ.

Le fait de porter plainte a changé la posture de cette jeune patiente. L’accompagnement, pour elle en tout cas, nous semblait nécessaire afin qu’elle ose porter plainte.


1 Office français de l’immigration et de l’intégration