Brève d’Exil – Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société.

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Aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, hall d’arrivée des vols en provenance de Conakry, un lundi matin de juin

Ça y est, ils arrivent. Depuis l’obtention de son statut, cette maman reconnue réfugiée se bat pour que ses trois enfants, restés au pays, la retrouvent en France. Mois après mois, elle a mis de côté pour pouvoir payer le service « Kids Solo » de la compagnie aérienne. Dès les visas apposés dans les passeports des enfants, elle a confirmé les billets. Et ça y est. Ils sont finalement ici, à Paris, avec elle.

La joie des retrouvailles est rapidement troublée par l’angoisse de l’hébergement. Elle et sa petite de 8 mois sont les seules autorisées à dormir dans la modeste chambre réservée par le 115. Les conditions sont fermes: si elle fait entrer ses trois enfants dans l’hôtel, la prise en charge s’arrête immédiatement. Elle n’a pas prévenu, elle a mis tout le monde devant le fait accompli: c’est le ressenti du 115. Mais elle a sauvé ses filles de l’excision et d’un prévisible mariage forcé. C’était son urgence, sa préoccupation.

Ce lundi matin, avant d’arriver au Comede, elle fait la tournée des travailleurs sociaux qu’elle connaît. Personne n’a pu répondre à sa demande d’hébergement, le Comede non plus. Elle n’a plus assez d’argent pour payer un hôtel, juste de quoi nourrir les enfants. La première nuit « en famille » sera dans la salle d’attente des urgences d’un grand hôpital parisien.

Le lendemain après-midi, la famille revient au Comede. Les enfants s’apprivoisent petit à petit, les grands sont ravis d’avoir une petite sœur. Ensemble, nous passons l’après-midi à envisager des solutions, à mobiliser tout le réseau possible, à contacter les assistantes sociales qui connaissent la situation et à insister fortement auprès de l’OFII1 pour que la famille bénéficie d’un hébergement adapté rapidement. Madame est prête à quitter l’Ile-de-France, sa priorité est de mettre ses enfants à l’abri. La recherche d’une place en CPH2 est lancée sur toute la France. Nous avons un petit espoir. Pendant ce temps, les enfants sont vus par un médecin du Comede. Ils se plaignent de maux de ventre et de toux.

L’assistante sociale de la CAF3, référente de la famille, soutient les démarches. Tous les jours nous faisons un point sur la situation et recevons Madame à tour de rôle.

Et une semaine passe…

Nous recevons l’appel d’un CPH en Vendée. Un appartement de deux chambres, en centre-ville est disponible. Madame accepte-t-elle cette proposition ?

La décision n’est pas simple à prendre. Le Comede passe du temps de discussion, d’explication, de mise en avant… disons-le, d’un « principe de réalité ». Madame n’a jamais quitté l’Ile de France, elle n’imagine pas ce qu’est la vie en dehors de la capitale. Elle veut se former, travailler, elle a peur de ne pas pouvoir le faire ailleurs. Elle ne peut pas donner de réponse tout de suite, elle revient demain matin pour rendre sa décision.

Le lendemain, elle nous annonce qu’elle décline la proposition. De nouveau, toute l’équipe se mobilise. De nouveau, du temps de discussion, d’explication est accordé à cette Maman. Nous lui assurons que nous ne couperons pas les liens, qu’au début nous l’appellerons régulièrement, tant qu’elle aura besoin de conserver encore ce lien avec le Comede. Elle décide de nous faire confiance, nous appelons ensemble le CPH pour qu’elle donne sa réponse. Elle explique qu’elle a beaucoup de valises. Ils l’attendront à la sortie du train. Elle se met alors à poser beaucoup de questions sur l’appartement. « Il y a un four dans l’appartement ? Une machine à laver ? » Elle s’enthousiasme.

Soudainement, son visage change : « Est-ce qu’il y a du lait en poudre ? ». Au bout du fil, l’assistante sociale répond « Ah… non il n’y a pas de lait en poudre », le téléphone est sur haut-parleur, nous intervenons, « Si ! Si ! Il y a du lait en poudre en Vendée ! Il y en a partout en France. Il n’y en aura pas dans l’appartement, il faudra l’acheter. »

Nous comprenons qu’elle a peur, peur du changement, peur de se retrouver seule avec ses quatre enfants, peur de l’inconnu. Mais elle est prête et a envie d’offrir ce qu’elle n’a pas eu à ses enfants, à ses trois filles. « Elles n’ont pas été excisées, elles choisiront avec qui elles veulent se marier, ce sera leur choix. »


1 Office français de l’immigration et de l’intégration

2 Centre provisoire d’hébergement

3 Caisse d’allocations familiales