« Votre temps d’attente est de moins de quarante-cinq minutes »

Après l’épreuve du départ et du voyage, le parcours d’exil se prolonge dans l’interminable attente administrative, suspendue aux répondeurs de l’OFII ou du 115.

Bicêtre - septembre 2018. Une jeune maman et ses deux fils s’assoient sur un banc de la salle d’attente. Ils sont déjà venus la veille. Par manque de solution et dans l’urgence, le Comede leur a payé une nuit d’hôtel. Elle est reçue dans un bureau, elle peut se poser et raconter son histoire.

Enfant, en Guinée, elle a été achetée par un ami de son père. Jeune adulte, elle tombe amoureuse et refuse de se marier avec un « vieux qu’elle n’aimait pas ». Fuyant la pression familiale, le couple s’est installé en Côte d’Ivoire. Trois de leurs enfants y feront leurs premiers pas. La famille de Monsieur, à son tour, devient pressante. Les deux aînées sont des filles, « il est temps de les exciser ». Ne parvenant plus à protéger leurs enfants, ils décident de partir encore, mais loin cette fois. Ils font le projet de venir en France et espèrent y trouver une protection.

Ils s’arrêtent au Maroc pour travailler et réunir l’argent nécessaire pour payer la traversée. Les conditions y sont très dures, Madame reste cloîtrée dans leur chambre tant elle a peur. Quelques mois plus tard, les parents décident de partir en deux temps : elle d’abord avec les deux garçons, la fratrie s’étant agrandie. Une de ses cousines l’accompagnera. Au moment de traverser, il ne reste plus que deux places sur l’embarcation de fortune. L’aîné des garçons et la cousine montent à bord. Arrivés en Espagne, les autorités font faire un test ADN, la filiation n’est pas prouvée, le jeune garçon sera placé en famille d’accueil. Un mois plus tard, Madame traverse à son tour et s’empresse de le retrouver. Cette séparation aura été traumatisante pour tout le monde mais le voyage continue. Ils prennent un car et arrivent en France, trois jours avant leur venue au Comede.

Ils se présentent épuisés, l’état de l’aîné des garçons inquiète, ils sont très isolés et Madame ne connaît pas la procédure pour demander l’asile. Ils sont reçus par la psychologue présente à leur arrivée et mis à l’abri. Après une nuit à l’hôtel, nous les revoyons. Nous proposons d’abord à cette maman d’appeler son mari. Elle accepte volontiers, il répond vite et un grand soulagement ressort de cette conversation. Il ne savait pas où était sa famille, l’un et l’autre sont rassurés. Les filles vont bien, elles sont toujours au Maroc avec leur père.

Nous contactons ensuite l’OFII pour le rendez-vous en PADA1. Le temps d’attente annoncé est de « moins de 45 minutes ». Quarante-cinq minutes plus tard, on ne peut effectivement plus attendre ; le message change et demande de rappeler plus tard, toutes les lignes étant occupées. Forcés de raccrocher, nous composons à nouveau le numéro. Cette fois, nous avons plus de « chance » : trente minutes plus tard, Madame a un interlocuteur et un rendez-vous pour le lendemain. Premier pas dans la procédure de demande d’asile, des portes s’ouvrent. Pendant ce temps, dans le bureau d’à côté, nous tentons de joindre le 115 en espérant obtenir une mise à l’abri pour le soir. Nous avons prévenu le 115 par mail mais il est exigé que madame les contacte personnellement. Sans cela, la recherche d’hébergement n’est pas activée : 1h30 d’attente, 1h30 de patience, 1h30 de message demandant de ne pas raccrocher en différentes langues puis… plus rien, la communication est coupée. C’est le quotidien des personnes que nous accompagnons.

Nous rappelons : « Bonjour, compte tenu du nombre d’appels important toutes nos lignes sont momentanément occupées. Pour ne pas prolonger votre attente nous vous remercions de bien vouloir renouveler votre appel ». Ce soir, le Comede s’apprête à payer une nouvelle nuit d’hôtel pour cette famille.

1 – Plateforme d’accueil pour demandeurs d’asile. Depuis le mois de mai 2018, les demandeurs d’asile en Ile-de-France doivent contacter le 01 42 500 900 et la communication coûte le prix d’un appel local. Le rendez-vous peut être fixé à discrétion dans l’un des huit départements de la région.