Brève d’Exil : « Vous n’êtes pas excisée »

Les Brèves d’exil portent témoignage des situations individuelles rencontrées par l’équipe du Comede, dans le cadre des consultations et des permanences téléphoniques. Elles sont, à bien des égards, un indicateur de la condition des personnes exilées dans la société.

Février 2023,

Le cri d’une enfant qu’on excise hante les nuits de Mme T. Ce cri a été balayé par la parole de la femme gynécologue : « ce n’est qu’un petit bout ». Certaines humaines ont des petits bouts d’elles qui ne semblent pas importants, qui ne sont qu’un petit bout. Qu’est-ce que cela produit le sentiment de ne pas être entière, d’avoir un petit bout qui a été arraché par la folie des hommes et qui, dans la parole d’un soignant sachant, n’est qu’un petit bout ?

Mme T. me raconte sa consultation chez une gynécologue en vue d’une reconstruction clitoridienne. D’abord, la médecin « l’a visitée », c’est comme cela que l’interprète me traduit du bambara l’examen médical décrit par Mme T. On dit, en français : « une visite médicale ». J’imagine cette gynécologue, en visite dans Mme T, et de conclure, à la fin de la visite, « vous n’êtes pas excisée ». Une parole décisive et péremptoire face à laquelle Mme T., en colère, sort 3 certificats d’excision. Trois certificats d’excision qu’elle a dû produire en guise de preuve de cette excision pourtant inscrite de façon définitive dans ses nuits. Face au cri de la petite fille qu’on excise et qui hante ses nuits, seuls les bouts de papiers des médecins soignants font preuve ; ces bouts-là comptent.

Alors la gynécologue « visite » à nouveau Mme T. et consent : en effet, il y a eu excision, mais « ce n’est qu’un petit bout ». La gynécologue n’envisage pas d’opération de reconstruction pour ce petit bout.

Le petit bout ne compte que très peu. Après tout, pour prendre du plaisir, il n’y a pas que cela, la gynécologue lui montre des images : voilà des endroits du corps qu’elle peut se caresser pour se stimuler, éveiller le désir en elle.

Mme T. revient me voir en consultation au Comede : « le RDV avec la gynécologue, vers laquelle je l’avais adressée, s’est très mal passé ».

On ne l’a pas crue, on lui a dit qu’elle n’avait pas été excisée, on lui a dit que ce n’était qu’un petit bout…

Il y a des mots et des phrases qui peuvent aussi trancher.

 

Au Comede, le réparage des mutilations sexuelles féminines est effectué lors des consultations de gynécologie, santé et sexualité. Entre 2017 et 2020, 48 femmes reçues en consultation ont déclaré avoir été excisées. Ces femmes sont jeunes (âge médian 27 ans), récemment arrivées en France (médiane 2 mois) et majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest (69% de Guinée Conakry). Elles sont quasiment toutes en cours de demande d’asile, en lien avec l’excision pour 20% d’entre elles. La majorité d’entre elles ont subi d’autres formes de violence de genre au pays, sur le trajet et/ou en France (mariages forcés, viols, traite des êtres humains, rapports sexuels forcés contre hébergement, nourriture, protection, etc.). Ces femmes souffrent le plus souvent de troubles psychiques graves. Les conséquences psychiques des MGF/E sont peu documentées et difficiles à analyser tant les facteurs de risque d’une altération de l’état de santé mentale sont nombreux : difficultés à en parler, difficulté à reconnaitre les effets psychologiques d’une « norme sociale », répétition des violences, grande vulnérabilité sociale en France. Pourtant, ces femmes sont souvent pionnières au sein d’un collectif plus large, elles sont les premières à avoir fui le mari qui leur a été imposé, à avoir refusé l’excision de leur fille, à exercer seule l’autorité parentale.