Dans la salle d’attente du Comede

Les patients du centre de santé du Comede s’y côtoient, s’y reposent, y espèrent et s’y impatientent parfois. Une simple salle d’attente, à la charnière des parcours d’exil.

Bicêtre - juin 1018. C’est un jour comme les autres, c’est-à-dire comparable à aucun, au deuxième étage du mal nommé bâtiment « La Force » de l’hôpital de Bicêtre. Des familles se croisent, des femmes se côtoient, des hommes s’observent. Les enfants jouent ensemble dans le coin aménagé pour eux. Parfois, leurs mères s’allongent et s’endorment sur les tapis moelleux, un coussin coloré sous la tête.

Tôt le matin jusqu’en début de soirée, la salle s’anime au rythme des rendez-vous avec les salariés et bénévoles du centre de santé du Comede. La cadence mobilise autant les habitués que les nouveaux venus, aux portes de ces bureaux où, une fois la porte fermée, des histoires douloureuses pourront enfin être livrées.

En ce jour de juin, la salle d’attente de Bicêtre a vu passer un homme qui a perdu sa femme, son frère et trois de ses quatre enfants en Méditerranée, une femme mariée de force à l’âge de 11 ans, violée toute sa vie d’épouse puis promise à son beau-frère au décès de son mari. Une jeune de 16 ans, piégée dans un réseau de prostitution, vient rejoindre les longs bancs boisés des lieux.

Se présente une dame de 64 ans, dont une décennie à séjourner dans les foyers ou dans la rue. Elle a enfin accédé à un logement social mais se perd dans ses papiers et ne comprend pas en quoi consistent les prélèvements automatiques. Le bailleur social la menace d’expulsion seulement quatre mois après son entrée dans le logement, sans lui laisser le temps de comprendre les procédures.

Un « habitué » est resté, lui aussi, un long moment dans la salle. Autrefois régularisé, il avait un travail et un appartement. Son titre de séjour n’a pas été renouvelé. Motif : « pas assez de preuves » de présence en France pour l’année 2008. Tout s’écroule.

La plupart des personnes présentes ne mangent pas à leur faim. Elles tentent de se rassasier de café et de thé posés sur une petite table, de biscuits offerts par les bénévoles ou de viennoiseries apportées par une membre de l’équipe.

Sous-alimentés, les patients du Comede sont aussi sans « chez soi ». La quête d’un lieu où dormir auprès du 115 se solde par des réponses invariables : « rappelez à 20 heures, il n’y a plus de place », « les familles avec des enfants de plus de trois ans ne sont plus prises en charge », « vous avez déjà eu une place cette semaine, rappelez la semaine prochaine ».

Juin 2018. L’Aquarius est bloqué en pleine mer. Juin 2018. Le Sénat veut transformer l’Aide médicale d’Etat (AME) en une « aide médicale d’urgence » réservée aux « maladies graves et douleurs aiguës ». Juin 2018. Au sommet européen de Bruxelles, le vocabulaire utilisé pour parler des migrants appartient au lexique jusqu’alors réservé aux partis d’extrême-droite.

Pourtant, demain, dans cette même salle d’attente, de nouveaux visages viendront se poser, attendre, et espérer.