Le Comede publie son rapport moral (Assemblée générale 2019)

À la suite du colloque-anniversaire sur la santé des exilé.e.s et de l’Assemblée générale du Conseil d’administration, le Comede publie aujourd’hui le rapport moral pour l’année 2018.

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Rapport moral du Comede
Année 2018, Assemblée générale 2019
Didier Fassin, président

L’année 2018 pourrait rester comme annus horribilis de l’histoire des politiques européennes d’immigration de ce début de vingt-et-unième siècle avec, en point d’orgue, le 10 juin, l’interdiction opposée par le gouvernement italien à l’Aquarius, navire de secours en mer affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, de débarquer les 629 personnes rescapées de naufrages, pour l’essentiel d’Afrique subsaharienne, dont 123 mineurs non accompagnés et 7 femmes enceintes. À la suite de l’Italie, ce sont la France et Malte qui ont refusé d’ouvrir leurs ports au bateau, tandis que le ministre allemand de l’intérieur et le premier ministre autrichien rejoignaient leur collègue Matteo Salvini dans le projet de constituer un « axe des bonnes volontés pour lutter contre l’immigration illégale ». Si l’Espagne acceptait finalement de recevoir les naufragés, une réunion des vingt-neuf chefs d’État de l’Union européenne convoquée en urgence aboutissait à un accord pour un renforcement de la police des frontières, une externalisation des procédures de contrôle de l’immigration et un confinement des nouveaux venus dès leur arrivée en Europe. Alors que d’autres navires de sauvetage se trouvaient bloqués dans des ports italiens, voire privés de pavillon, des accords passés par l’Europe avec la Libye se traduisaient par une demande expresse de rapatrier sur son sol les migrants tentant la traversée, la France lui cédant pour ce faire des bateaux de garde-côtes malgré l’évidence des mauvais traitements et même de la réduction en esclavage des migrants africains dans les camps de détention libyens. Parallèlement, les autorités italiennes, maltaises et grecques engageaient des poursuites contre les personnes physiques et morales actives dans le secours en mer, les autorités françaises en faisant de même pour le secours aux frontières terrestres.

Cette évolution des politiques et des pratiques européennes en général et françaises en particulier est remarquable à deux titres. D’abord, elle contraste avec celles menées à partir de 2013 lorsque, dans le cadre de l’opération Mare Nostrum, l’Union européenne avait sauvé plusieurs dizaines de milliers de personnes. On est ainsi passé d’un engagement humanitaire à une criminalisation de l’humanitaire. Ensuite, ce durcissement intervient dans une période où les flux d’entrée sur le territoire européen ont atteint un point très bas. Le résultat en est que les traversées de la Méditerranée, de moins en moins fréquentes, puisqu’en 2018 le nombre de migrants était dix fois moins élevé qu’en 2015, sont de plus en plus dangereuses, le total des décès n’ayant été divisé que par deux dans cette période. Ainsi, l’immigration et l’asile sont devenus un enjeu central de la vie publique française et européenne, non seulement au sein des partis nationalistes et populistes, mais aussi dans les partis réputés de droite modérée et même dans certains partis de gauche. Déconnectées de la réalité démographique, mais totalement tributaires de préoccupations électoralistes nourries des anxiétés et des peurs qui minent les sociétés contemporaines, les politiques et les pratiques se font au prix à la fois de nombreuses pertes de vies humaines et, au quotidien, de privation de droits et de dignité pour les migrants et les réfugiés souvent réduits à des conditions de vie misérables et soumis aux violences des forces de l’ordre. À cet égard, le décalage entre le discours généreux du président français dans les arènes internationales et les données empiriques recueillies par chercheurs et activistes, qu’il s’agisse de statistiques ou d’observations, ajoute à la dureté de la répression l’indécence du cynisme.

Les chiffres officiels de l’immigration et de l’asile donnent d’ailleurs des résultats contrastés dont l’interprétation n’est pas univoque. D’une part, avec 255 000 premiers titres de séjour de pays tiers, l’augmentation des flux d’entrants réguliers, tous motifs confondus (y compris l’asile), se poursuit, mais dans un contexte de baisse du solde migratoire. De plus, les régularisations pour raison médicale sont en baisse sensible à 4300, contre 6900 quatre ans plus tôt. D’autre part, avec 27 % d’accords en première instance à l’Ofpra et 36 % en incluant les résultats de l’appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile, le taux de reconnaissance des réfugiés est significativement plus élevé qu’il n’était dix ans plus tôt, mais il demeure relativement bas comparé aux autres pays de l’Union européenne puisque selon Eurostat la France se situe à la 23e position sur 28 alors qu’elle est après l’Allemagne à la 2e place pour le nombre de requérants. Encore faut-il ajouter que ces chiffres ne prennent pas en compte les demandeurs d’asile refoulés à la frontière et donc jamais enregistrés, ou bien en provenance de pays considérés comme sûrs et donc jamais auditionnés.

Les éléments qui précèdent soulignent la détérioration du climat dans lequel se déroule l’action des organisations non gouvernementales œuvrant en faveur des exilés, tant au regard de la précarité des personnes auprès desquelles elles interviennent qu’au regard des menaces qui pèsent sur leurs propres opérations. Ces menaces ne concernent pas seulement la répression de ce qu’on en est venu à appeler le délit de solidarité, mais aussi la réduction des subventions publiques qui affecte une grande partie du secteur associatif d’aide aux personnes en difficulté en général. Malgré ces conditions peu propices, le Comede a pu maintenir, et même accroître son budget, au prix d’un remarquable effort de recherche et de justification de financements auprès de la trentaine d’institutions publiques et privées qui le soutiennent, de même que son activité, avec une progression de 6% de sa file active et de 9% de l’ensemble des actes. Alors que le nombre de consultations avait diminué à partir du milieu des années 1990, en raison de l’accent mis sur les actions de formation et de prévention puis de la mise en place de permanences téléphoniques, il remonte régulièrement depuis cinq ans, avec une augmentation très marquée pour ce qui est de la santé mentale, domaine particulièrement important pour des personnes triplement marquées par les conditions de vie et parfois les persécutions dans leur pays d’origine, les épreuves et notamment les violences rencontrées pendant leur voyage, enfin le traitement qui leur est fait dans leur pays dit d’accueil. Par ailleurs, le Comede poursuit son développement et sa diversification sur un double plan. En termes d’activité d’abord, avec, outre les actions médicales, infirmières, sociales et juridiques, une spectaculaire progression de la formation et de la prévention, à travers des enseignements, des ateliers, des expertises et des publications, dont le désormais indispensable Guide destinés aux professionnels de la santé, du social et du juridique. Sur le plan géographique ensuite, avec ses implantations à Saint-Étienne, à Marseille et en Guyane, qui s’ajoutent aux sites de Kremlin-Bicêtre, Pantin et Paris. Cette intense activité de l’association se traduit du reste par une consolidation de son personnel avec 41 salariés et 61 bénévoles. Quant à sa vitalité, en témoigne l’augmentation régulière du nombre de membres adhérents, qui s’élève à 96, soit un doublement en moins de dix ans.

Mais le travail des membres du Comede en faveur des exilés ne prend sens que dans le cadre inter-associatif plus large au sein duquel il s’inscrit. Nombre d’interventions dans l’espace public, avec des tribunes, des pétitions et des interpellations au gouvernement, ainsi que dans le domaine juridique, par des saisines des juges, se font à travers l’ODSE, Observatoire du droit à la santé des étrangers, de la CFDA, Coordination française pour le droit d’asile, de l’OEE, Observatoire de l’enfermement des étrangers, de l’Adfem, Action pour les droits des femmes exilées et migrantes, et de l’Anafé, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers. En 2018, certaines des mobilisations les plus conséquentes au niveau national ont concerné la question des « délinquants solidaires », en défense de celles et ceux simplement accusés de venir en aide aux exilés, tandis que d’autres actions ont été réalisées localement, en particulier en région Provence Alpes Côte d’Azur.

Comme chaque année, ce rapport moral se termine par un hommage au travail réalisé, au quotidien, par toute l’équipe du Comede, salariés et bénévoles, dont la compétence et le dévouement font vivre l’association au service d’une cause d’autant plus importante qu’elle semble toujours plus menacée. La célébration des 40 ans de l’association à Saint-Étienne le 14 juin 2019 sera l’occasion d’exprimer la reconnaissance de leur travail.

Paris, le 12 juin 2019